C’était il y a quatre ans, jour pour jour. Pussy riot faisait irruption dans la Cathédrale du Christ-sauveur de Moscou, pour n’y rester que quelques minutes, mais s’installer — et de quelle manière ! dans le débat russe, puis international. Retourner sur leur blog Live Journal quatre ans plus tard laisse une étrange impression de nostalgie — et d’ailleurs, je le fais plus par nécessité “professionnelle”, que par goût.

Les anciens articles sont toujours là, les photos du 21 février, les premières interviews au Russkiï Reporter, à Gazeta.ru. Mais le groupe a bel et bien explosé, dans de troubles circonstances marquées par des accusations de compromission, d’usurpation et de vénalité, mêlant Pyotr Verzilov — le mari de Tolokonnikova, des membres du groupe, les avocats des accusées. Ekaterina Samutsevich a disparu des médias, après avoir été vilement accusée, sans preuves, de s’être vendue au régime pour s’assurer une peine avec sursis. La page Live Journal du groupe l’annonce :

Une lettre, déjà ancienne — 18 juillet 2015 — s’en prend à la commercialisation de Pussy riot entreprise par Tolokonnokiva et Alyokhina, et conclut :
Nous considérons comme évident que le groupe est arrivé à son terme en tant que projet artistique, et n’est plus un phénomène vivant » [Мы считаем очевидным фактом, что группа исчерпала себя как художественный проект и больше не является живым явлением.]
Le groupe s’était fondé sur un principe d’anonymat, qui n’a pas survécu à la médiatisation du procès. Dès lors qu’elles étaient dans le box, leurs visages apparaissaient au grand jour, elles étaient constituées en victimes singulières, corps souffrants ou triomphants. Il n’est qu’à comparer ces deux unes d’Afisha, défunt magazine culturel moscovite :


Pussy riot, d’un mystérieux collectif radical, subversif, anonyme et clandestin a désormais pris l’apparence de deux figures, voyageant à travers le monde pour rencontrer des personnalités, donner conférences ou concerts, toujours impeccablement maquillées, habillées et photographiées, instantanément reconnaissables dans l’espace médiatique globalisé.
On pourrait bien sûr instruire des procès en trahison, récupération, compromission. Mais qui a passé presque deux ans dans une prison russe pour jouer au procureur ?
Et l’on n’accusera pas Alyokhina et Tolokonnikova d’être restées inactives sur le front de la politique russe. Elles ont fondé Mediazona, un site d’information consacré aux prisons, au système judiciaire, aux répressions en Russie. Elles ont sorti un nouveau clip, s’en prenant au Procureur général Youri Tchaïka — qui venait de faire l’objet d’une enquête accablante de l’opposant Aleksey Navalny.
Alors, si nostalgie il doit y avoir, elle porterait plutôt sur le moment qui a rendu Pussy riot possible. L’hiver 2011–2012, l’explosion d’une contestation que personne n’attendait, une autre image de la Russie, un moment où tout paraissait ouvert. On connaît la voie qu’a choisi le régime, il y a eu l’Ukraine, et il paraît très loin, cet hiver.