
Les 9 et 10 mars s’est tenu à Vilnius, capitale de la Lithuanie, un “Forum de la Russie libre”, réunissant la fine fleur d’une certaine opposition russe, et plus particulièrement de l’opposition émigrée. Toujours à la recherche d’une opposition libérale authentiquement russe, toujours en lutte contre le soviétoïde (sovok), Oleg Kashin y voit “le centre incontournable de l’émigration politique.” Que faut-il en attendre ? Traduction verbatim d’une tribune pour Radio Free Europe, qui fera office de post-scriptum à un précédent billet à ce sujet : L’impossible libéral russe.
L’émigration politique commence en métropole. Nous voyons bien que dans ce centre, quelque chose ne tourne pas rond, mais quoi précisément ? La réponse la plus générale est que l’émigration politique ressemble à la société dans la métropole. On le voit très bien en regardant les personnalités de ce forum : parmi nos émigrés, il n’y a personne qui ne soit inimaginable dans la Russie d’aujourd’hui. Ilya Ponomaryov, s’il n’y avait eu de poursuites pénales contre lui, serait resté à la Douma et à Skolkovo, gagnerait de l’argent, et voterait des lois ; Evgueny Tchitchvarine, s’il avait plus de chance, continuerait vendre des téléphones, et Garry Kasparov, s’il n’était pas parti, serait une figure en vue de la coalition démocratique, se disputerait avec Mikhaïl Kassyanov [ancien premier ministre, aujourd’hui leader du parti libéral PARNAS]. L’ “opposition russe” n’est pas une “organisation interdite sur le territoire de la Fédération de Russie”, et c’est pourquoi l’émigration politique russe est semblable au premier ou au deuxième rang de n’importe quelle manifestation sur les boulevards de Moscou.
En fait, c’est tout à fait normal, et on ne trouvera nulle part d’autre émigration politique. En Russie, il y a le parti PARNAS, et dans l’émigration, sa version « autorisée à quitter le territoire » [выездная версия]. En Russie, il y a des essayistes qui publient des slogans de type intelligentsia libérale, et à l’étranger, on en trouve aussi.
Et si, en Russie, à la place qui dans n’importe quel pays est occupée par une intelligentsia nationale, on trouve les héritiers de la fronde soviétique [советской фронды новомирского типа], alors cette fronde germera aussi dans l’émigration. Voilà la principale impression qu’on retire de Vilnius: on nous a montré la diaspora soviétique, la tendance libérale-démocratique de la grande émigration soviétique, une fraction de l’axe de Brighton Beach à Marzahn [quartier de Berlin].
L’émigration politique commence en métropole. En Russie, le sommet de la pensée de l’opposition consiste à organiser des campagnes en faveur d’une pilote ukrainienne. L’opposition est représentée par des partis libéraux qui ne sont qu’une nouvelle incarnation de la « génération des années 1960 » [génération qui a fourni une bonne part des cadres et penseurs de la perestroïka], des héritiers des élites eltsiniennes. Même au niveau des slogans, l’opposition n’est pas capable de se présenter comme force populaire et nationale. Le nationalisme est fortement associé dans la conscience sociale à l’étatisme et à l’impérialisme. Tant qu’on en sera là, on ne doit pas s’attendre à des avancées spectaculaires de la part de l’émigration politique. La session « autorisée à quitter le territoire du territoire » du Conseil de coordination de l’opposition russe se réunira à Vilnius ou ailleurs, Vremya [émission politique de la première chaîne publique] se moquera de ce qu’on y racontera…
Pour Oleg Kashin, il n’y a donc rien à attendre de l’émigration. Pire, on doit s’attendre à ce qu’elle serve de complice objective de la propagande des autorités russes… Ah ! Si seulement l’opposition libérale faisait sienne la devise de Vladimir Jirinovskii, leader populiste du très mal nommé Parti libéral démocrate :